Guitariste ayant accompagné la fine fleur de la chanson en Belgique, Patrick Deltenre suit aussi un riche parcours fusion et jazz, qui l’a conduit à l’actuel « Inner Travels » en duo avec son vieux complice Ivan Paduart.

Portrait : Dominique Simonet

Guitariste polyvalent, donc très demandé, Patrick Deltenre est présent à peu près partout dans le paysage musical : jazz, pop, chanson, rock, à la scène comme au studio. Aujourd’hui très présent en duo avec le pianiste Ivan Paduart dans le cadre du projet « Inner Travels », il peut se targuer d’avoir accompagné, de sa guitare mélodieuse, toutes les figures marquantes des variétés dans nos contrées, telles Isabelle Antena, Viktor Lazlo, Khadja Nin, Axelle Red…

Avec, bien sûr, une mention particulière pour l’une de nos plus grandes voix, Maurane, dont il fut le partenaire musical pendant près de 25 ans : « Maurane était une référence pour tout le monde, et d’avoir été son guitariste t’assure une reconnaissance », explique l’intéressé. Tout cela, Patrick Deltenre l’explique par le fait d’avoir été baigné, très jeune, dans la musique. À 3 ans, il était à la mandoline sur scène avec ses parents.

Décapotable camionnette

D’origine sicilienne, Egidia Lo Presti, sa mère, jouait de l’accordéon et elle chantait. Pour s’intégrer au clan, il a bien fallu que son père, Jean Deltenre, ouvrier chez Cockerill, se mette à la contrebasse. Chez sa tante Clélia, sœur de sa mère, « il y avait carrément une batterie dans le salon, et ils avaient acheté une grosse décapotable américaine pour emporter les instruments ».

Pour la famille, c’était la tournée des bals, où se mêlaient twist, rock’n’roll, valse, tango et tarentelle. « À 14 ans, j’ai rejoint mes parents sur scène à la guitare », se souvient Patrick Deltenre. « L’école du bal, c’est la meilleure ! On s’exerce à tous les styles, et on s’attache à reproduire les solos des enregistrements originaux. Cela m’a bien aidé dans ma carrière de musicien. Après, un solo jazz, ou un solo rock comme à 15 ans dans ton garage, tu peux le faire ! ».

La révélation

Comme il dit, « on ne s’ennuyait pas à la maison ! ». Quant à déterminer une carrière dans ces circonstances, « à la limite, je n’ai pas eu le choix ». Si tout était si simple… Mais non car, entre-temps, John McLaughlin, Wes Montgomery, Joe Pass, René Thomas et Philip Catherine sont passés par ses oreilles. À l’écoute de « Shakti », avec John McLaughlin, et de « Guitars », de Philip Catherine, « un album complètement différent où la guitare est mise en avant », « j’ai eu la révélation. Après on se dit que c’est ça qu’on veut faire ».

Encore faut-il s’en donner les moyens. « Nous étions un petit noyau de Marcinelle. Sous l’impulsion du pianiste Paolo Ragatzu, on s’est dit : ‘on arrête de rigoler, il y a une école de jazz à Liège’. Au début, les partoches des standards du jazz à déchiffrer avec le Real Book, c’étaient des hiéroglyphes ». Les professeurs comme feu Paolo Radoni ou Serge Lazarevitch, mais aussi Dennis Luxion et Richard Rousselet, ont bien fait progresser les choses.

La mélodie d’abord

Aujourd’hui, « jouer des standards jazz est un moyen de communication entre musiciens et avec le public ». Patrick Deltenre compose également : « Je démarre toujours de mélodies, pas de grilles d’accords d’harmonie. L’idée est de faire plaisir aux gens qui écoutent. » Son partenaire dans Inner Travels, le pianiste Ivan Paduart, fonctionne autrement : « Il adore tordre les accords, les harmonies. Nous sommes tellement différents dans notre façon de faire que cela nous réunit, car nous sommes complémentaires ».

« Ivan n’a pas du tout été à l’école du bal », sourit le guitariste. Cette école, c’est ce qui réunit Mimi Verderame, Bruno Castellucci ou encore Paolo Radoni, « tous des mélodistes. Les solos de Paolo étaient de la poésie, on ne parlait plus de mathématiques ». Raison pour laquelle, bien que son aîné et professeur, « il m’a tout de suite adopté, nous sommes devenus amis », au point de former un duo de guitares.

Depuis une dizaine d’années, Patrick Deltenre vit en Flandre, à Londerzeel, dans le Brabant. « Là aussi, j’ai la chance d’être appelé dans différents styles, c’est chouette d’être reconnu en Flandre ». Question professionnalisme également car, « si on dit qu’on répète à 2 heures, pas question de débarquer avec son matos à cette heure-là, ils sont tous prêts ! Si tu veux travailler avec eux, tu as intérêt à débarquer à 1h30. C’est tellement confortable de travailler dans ces conditions ! ».

Musique sans frontière

Lui qui a été plongé dans la musique dès son plus jeune âge aurait bien aimé que son fils, Thomas, prenne le relais. Certes, il écoute du classique, du hip-hop, du jazz, mais il travaille dans le jeu vidéo : « D’après lui, j’ai poussé le curseur tellement loin qu’il n’aurait plus rien à ajouter ».

Question transmission du savoir, « le temps qui passe me donne plus envie de jouer que d’enseigner ». C’est pour cela que Patrick Deltenre est tout fou de jouer dans un nouveau trio avec les « toppers » que sont Frank Deruytter au saxophone et Hervé Martens au piano. « Un projet très particulier, qui va de John Scofield à ‘What a Wonderful World’, avec la même vue sur la musique sans frontière ».